Le multilinguisme : une valeur fondamentale des Nations unies, un impératif d’efficacité.
Michaëlle Jean, secrétaire générale de la Francophonie, au siège des Nations unies : Je me suis exprimée en français, toujours en public. Je le parle avec tout mon corps, ma tête, mes mains, mes yeux, avec la volonté de convaincre. Tout d’un coup, dans la salle, des gens prennent leur écouteur. Ils sentaient l’énergie, avaient envie de comprendre. A la fin, un monsieur de la délégation française m'avoue son regret d'avoir fait son topo en anglais, alors que rien ne l'y obligeait et qu'il avait raté là une belle occasion !
Ainsi va la francophonie à l’Organisation des Nations unies (ONU)… Manifestement, plutôt mal. La tendance au monolinguisme s’accentue. Tous les rapports le pointent du doigt.
Patricia Herdt est la représentante permanente de l'Organisation Internationale de la Francophonie auprès des Nations unies à New York. L'ONU reconnaît 6 langues officielles (anglais, arabe, chinois, espagnol, français, russe) pour les assemblées générales et le conseil de sécurité, l’anglais et le français étant les langues de travail du secrétariat général.
. « Le français continue de jouir d’un très grand prestige, mais force est de constater que l’utilisation du français recule dans certains contextes », déplore la représentante de la Francophonie.
Patricia Herdt regrette particulièrement que des services de traduction ne soient pas prévus pour les réunions dites « informelles ». Pour informelles qu’elles soient, elles n’en sont pas moins capitales, « car, explique-t-elle, c’est dans ces réunions qui sont uniquement en anglais que des problèmes sont débattus et des décisions importantes sont prises, avant qu’elles soient validées lors des réunions plus formelles. Imaginez vous ne parlez pas bien l’anglais, vous aurez tout le mal du monde pour exprimer votre point de vue qui est en fait celui du pays que vous représentez. » La Française attire aussi l’attention sur l’enjeu de la diversité linguistique s’agissant des sites Internet, « compte tenu du nombre croissant des fréquentations ».
Selon cette observatrice de l'évolution des langues, le risque est grand de voir l’ONU devenir à terme une technocratie monoculturelle, malgré ses engagements en faveur du multilinguisme réitérés régulièrement dans la résolution biennale de l’Assemblée générale des Nations unies sur cet impératif (dernière en date du 11 septembre 2015). C’est la crainte aussi de sa patronne Michaëlle Jean qui rappelait pendant son intervention à l’antenne de la radio parisienne le lien étroit entre la diversité linguistique et la démocratie : « Le multilinguisme, affirmait-elle, c’est davantage de perspectives et s’en priver, c’est affaiblir la démocratie internationale. Et d’ajouter : « Parler français dans les enceintes internationales, c’est une façon de défendre ses idées et sa manière de vivre ».
La Francophonie relève le défi
Que fait la Francophonie pour faire face à ce défi du déficit inquiétant du français et du multilinguisme dans les organisations internationales ? Consciente qu’elle ne peut pas le relever seul, elle a mobilisé les Etats et les gouvernements membres de l’OIF en publiant à leur intention un Vade-mecum relatif à l’usage de la langue française dans les organisations internationales. Adopté en septembre 2006, à la Conférence ministérielle de la Francophonie, ce document engage les pays membres à mettre en œuvre des stratégies volontaristes afin de faire respecter le statut des langues officielles et de travail au sein des organisations multilatérales.
« Nous savons, ajoute Patricia Herdt, que nous ne pourrons pas relever ce défi seul, c’est pourquoi nous cherchons à bâtir des alliances avec les autres grands espaces linguistiques, particulièrement les hispanophones et les lusophones, dans la perspective d’un combat commun en faveur du multilinguisme à l’ONU ». La rencontre des décideurs qu’organise ce 20 mars l’antenne de l’OIF au siège des Nations unies, ce 20 mars, à l’occasion de la Journée de la langue française à l’ONU, permettra sans doute aux francophones onusiéens de réfléchir ensemble à de nouvelles pistes d’action pour ralentir la tendance au monolinguisme dans les enceintes internationales.