Simone Veil à l'Académie Française pour l'Europe comme Victor Hugo
Extrait du discours d'entrée de Mme Simone Veil à l'Académie Française le 18/03/2010 au siège n°13, celui de Jean Racine et Pierre Loti, à côté du n°14, celui de Victor Hugo. Sur son épée d'académicienne, elle avait fait graver le matricule 78651, tatoué sur son bras gauche par les SS lors de sa déportation à Auschwitz-Birkenau. Dans son discours ci-dessous, auquel répondra Jean d'Ormesson, elle exprime le désir d'Europe de sa génération du XXè siècle, comme le faisait déjà Victor Hugo sous la même coupole au siècle précédent.
Mesdames et Messieurs,
Dans cette enceinte vouée à la défense et au rayonnement de la France, qu’il me soit permis d’évoquer une ambition à laquelle j’ai voué une partie de ma vie : l’Europe. Elle a été l’horizon qu’au lendemain de la guerre quelques pères fondateurs se sont fixé pour remiser à jamais les guerres fratricides. (...)
Cette aventure européenne fut et demeure le grand défi de la génération à laquelle j’appartiens. Emmanuel Berl disait que l’Europe devait être tout à la fois une communauté de désirs et de doctrines. Peut-être Pierre Messmer (son prédécesseur au siège n°13) estimait-il que les doctrines affadissent par trop le désir ? Ce défi lancé aux vieilles nations, je l’ai accueilli et accompagné avec plus d’optimisme que Pierre Messmer. Et l’ancienne présidente du Parlement européen que je suis est heureuse de devenir aujourd’hui, dans cette enceinte, l’un des porte-parole de cette idée européenne qu’illustre depuis ses origines l’Académie. Ne sommes-nous pas en train de discourir dans un lieu appelé « Collège des Quatre-Nations », appellation qui dit bien sa vocation à l’ouverture ?
Les pères de l’Europe ont voulu construire une réalité à partir du rêve d’un homme dont la voix a retenti nombre de fois sous cette Coupole. J’ai nommé Victor Hugo. En 1841, fraîchement élu à l’Académie, il se consacre à la rédaction d’un texte sur le Rhin, où il ébauche le projet d’une union européenne fondée sur ce qu’il est convenu aujourd’hui de nommer le couple franco-allemand. Il écrit : « La France et l’Allemagne sont essentiellement l’Europe. L’Allemagne est le cœur, la France est la tête. Le sentiment et la pensée, c’est tout l’homme civilisé. Il y a entre les deux peuples connexion intime, consanguinité incontestable. Ils sortent des mêmes sources ; ils ont lutté ensemble contre les Romains ; ils sont frères dans le passé, frères dans le présent, frères dans l’avenir. »
Fraternité et avenir, sous l’égide de ces beaux mots, qui ont naturellement cours chez vous, je suis fière d’être reçue par votre Compagnie.