De Gaulle, notre maître à penser pour la promotion de la langue française ?
De Gaulle, qui sait mieux que quiconque ce que la France doit à la Grande Bretagne et aux États-Unis d’Amérique, après le désastre de juin 1940, n’en a pas moins un regard lucide sur la menace que constitue l’invasion culturelle américaine, qui perdure et s’amplifie depuis lors.
L’excellent reportage diffusé sur la 5 montre la façon dont De Gaulle exerçait un interventionnisme de tous les instants : respect des sigles en français ; refus de lire les télégrammes diplomatiques rédigés en anglais, car le français est aussi la langue de la diplomatie ; bisbille de plusieurs années pour le nom du projet Concorde avec un e et non pas sans e comme en anglais…
Le point d’orgue est la lettre qu’il rédigea au ministre de la défense avec une conclusion percutante : « J’ai constaté, notamment dans le domaine militaire, un emploi excessif de la terminologie anglosaxonne. Je vous serais obligé de donner des instructions pour que les termes étrangers soient proscrits chaque fois qu’un vocable français peut être employé…. C’est-à-dire dans tous les cas ! »
Rappelons comment il a décidé de pratiquer la chaise vide à l’OTAN en 1966 et bouté les bases américaines hors du territoire national, au grand dam de certaines économies locales comme à Châteauroux.
Aujourd’hui, au lieu d’évoquer cela avec un amusement respectueux ou une indifférence polie, nos contemporains devraient en prendre de la graine et bien mettre en pratique l’excellente phrase du premier ministre François Fillon, qu’il prononça devant les députés en 2009 lorsque le président Nicolas Sarkozy avait décidé de réintégrer le commandement militaire de l’Alliance : « la France, alliée mais pas vassale, fidèle mais insoumise, toujours fraternelle mais jamais subordonnée… l’amitié ne se confond pas avec la naïveté ».
Le combat linguistique est culturel et il n’est pas vain, pourvu qu’on en comprenne le sens et qu’on s’y attèle avec intelligence et détermination. C’est pourquoi André Malraux, puis Jack Lang, ont été d’une inspiration capitale lorsqu’ils ont lutté pour obtenir et défendre l’« exception culturelle française », c’est-à-dire faire admettre l’idée que la création culturelle ne constitue pas un bien marchand comme les autres et doit être protégée par des règles ne dépendant pas de la loi du marché.
Même si la bataille est rude et paraît inégale, il y a quelques signes positifs, venant souvent de francophones non français. C’est le cas de nos cousins canadiens du Québec qui, en 1978, ont voté la loi 101, véritable charte qui permet à 6 millions de Québécois de résister aux 300 millions d’américanophones, ce qui n’est pas rien. Au Québec, on prononce Wisconsin comme cousin et non pas comme rustine. On dit Justin Trudeau et non pas Justine. Du reste, ce dernier s’est bien moqué des députés français lorsqu’il est venu en visite officielle en France en 2018. Lors de son brillant discours s’adressant aux parlementaires, il ne manqua pas de les surprendre en évoquant l’« AECG » et de préciser en pince sans rire « le CETA comme vous dites en bon français ». Au Canada francophone l’accord commercial tant décrié ici-bas se nomme « Accord Économique et Commercial Global » et non pas Comprehensive Economic and Trade Agreement, CETA est donc bien le sigle anglais à proscrire si l’on est un vrai francophone ! Bravo les Québécois et honte aux Français de l’Hexagone !
Il y a dans les territoires français ultramarins, ainsi qu’en Afrique, au Canada, en Belgique, en Suisse et parmi les nombreux francophiles de beaucoup de pays, des gens attachés à la francophonie à faire rougir une bonne partie de l’intelligentsia hexagonale souvent étriquée à l’intérieur du boulevard périphérique, incapable de faire l’effort patriotique de respecter sa langue. Rappelons que l’article 2 de la constitution de la 5è république précise que la langue de la république est le français. Sans doute les rédacteurs pensaient-ils à un risque venant de l’intérieur, alors qu’en pleine lumière l’américanisation néo-ultra-libérale s’incruste sans vergogne au sein des cultures européennes.
Le président Mitterrand, à la fin de sa vie, a confié que les Français ne savent pas que « l’Amérique (États-Unis) nous mène un combat à mort, sans mort peut-être, mais à mort quand même ». Quelle lucidité !
Tout récemment, le général De Villiers a déclaré qu’il faut apprendre aux petits Français à aimer la France. Comme quoi il faut savoir mettre les choses à l’endroit !
En 2016, Annick Girardin, Secrétaire d’État chargée du développement et de la francophonie, rappelle par une circulaire de 3 pages, aux agents de la Fonction Publique, que leur devoir d’exemplarité doit les conduire au respect de l’emploi de la langue française. Vu d’Amérique, ça doit valoir son pesant de métal précieux ! Et pourtant est-ce si difficile ?
En 2018, le président Emmanuel Macron se rend en visite d’État en Chine. Au détour d’une conversation le président chinois Xi Jinping raconte au président français que sa fille a choisi le français comme seconde langue au lycée. Et le Français de s’en féliciter et d’ajouter qu’il ne doutait pas que la fille de celle-ci prendrait le français en première langue quand elle ira au lycée ! N’est-ce pas volontariste ?
Bien sûr on ne doit pas rester que dans la posture et exprimer des vœux pieux. Le problème touche la Terre entière et les langues ont sans cesse suivi le chemin des peuples pour se mêler entre elles, s’imposer les unes aux autres, se fixer par endroit, évoluer en vase clos, bref les langues sont d’une étonnante vitalité. Mais surtout, elles sont la valeur d’une culture et de leur nombre dépend la diversité culturelle. En 2000, le linguiste Claude Hagège évaluait le nombre de langues vivantes à environ 5000, dont 25 meurent chaque année. Dans son ouvrage « Halte à la mort des langues ! », il avertit : « la vigilance s’impose, faute de quoi toutes sont menacées, y compris le français ».
Aujourd’hui, en 2020, l’évolution des techniques de communication est avancée au point de pouvoir donner à tout un chacun un petit mobile qui traduit instantanément nos paroles. Remarquons que pour l’instant la qualité laisse à désirer, probablement parce que les Américains maîtres de la technique ne sont pas motivés par ce besoin, vu que tous les autres se soumettent à la langue anglaise, avec un rendement souvent médiocre, avec une inégalité criante selon le niveau d’études, avec un handicap certain pour les étudiants et les chercheurs non anglophones, avec une culpabilisation de ceux qui sont à la traîne pour ne pas être au fait des nouveaux termes et expressions. Quel non-sens et quel gâchis !
Il faut absolument parvenir à permettre aux Terriens de communiquer entre eux sans devoir sacrifier leur idiome, tout en leur donnant le goût et le besoin d’en apprendre le plus possible et d’en admirer leur architecture !