Et si les immortels allaient devenir mortels ?
Un rapport de l'Académie Française à faire se retourner Richelieu dans sa tombe (et bien d'autres !) vient d'être publié. Les immortels déplorent l'invasion massive du franglais et accusent autant les responsables politiques, institutionnels, culturels, économiques, en somme toute l'élite du public et du privé.
Ce snobisme panurgique a des conséquences dramatiques à plusieurs niveaux :
1) Pour première conséquence une double fracture générationnelle et sociale : Le vocabulaire anglo-américain est souvent considéré comme bien connu du public en général. Or c'est faux. Il suffit de voir comment nos proches ne comprennent pas ces barbarismes d'outre Atlantique que les médias et les affiches nous infligent; de voir ou plutôt d'entendre nos jeunes chanter en anglais lorsqu'ils sortent de bonne famille et en français lorsqu'ils sont de famille populaire (comme les rappeurs qui eux chantent en français !).
2) Il y a une deuxième conséquence au sein de l'Europe. En effet, dans le passé, les langues régnaient dans leurs limites nationales et, pour convenir à des visiteurs étrangers, les responsables locaux prenaient soin d'écrire en 3, 4 ou 5 langues, voire plus, la traduction des instructions et renseignements à leur intention. Or, que voit-on maintenant ? Apparaissent des panneaux touristiques ou sécuritaires écrites uniquement dans la langue nationale doublée d'une traduction anglaise (plus ou moins correcte). Sous-entendu, si vous ne comprenez pas notre langue voici la version anglaise, que vous comprenez, bien évidemment ! Donc cette Europe multilingue, qui déclare défendre son plurilinguisme dans ses statuts, façonne petit à petit une entité monolingue de langue anglaise. Tout cela, avec nos impôts et après le départ volontaire et fracassant de la Grande-Bretagne. C'est donc une lutte concertée qu'il faut mener, entre les partisans de ne pas céder au tout-anglais, avec des résolutions concrètes et pragmatiques, concertées et respectées.
3) Pour terminer, une autre conséquence désastreuse, de l'attitude servile et vassalisée de la France hexagonale à l'égard de l'anglo-américain : c'est le manque d'impulsion donnée à la formidable entité que constitue la Francophonie mondiale, constituée de la partie française ultra-marine, d'une moitié du continent africain, d'une partie francophone des pays voisins et bien sûr de la partie francophone du Canada dont principalement la province du Québec, qui est un magnifique exemple de résistance linguistique et culturelle, 6 millions de locuteurs français au sein d'un continent nord-américain anglophone (quoique l'immigration hispanophone récente constitue aux États-Unis une réalité en mouvement). 88 pays sont membres de l'Organisation Internationale de la Francophonie, institution qui s'occupe de la défense et de la promotion de la langue française à travers le monde. Que pensent tous ces Francophones hors de France qui voient et entendent ces Français de l'Hexagone déformer leur langue (patrimoine mondial) avec du franglais et du globish ? Ne vont-ils pas se tourner directement vers l'anglais, au nom du principe que l'original est toujours mieux que la copie ? Les murailles de l'Hexagone et du boulevard périphérique doivent être bien épaisses pour qu'on ne comprenne pas cela !
Au même moment une candidate à l'élection présidentielle prononce un discours remarquable de 25 minutes à Villers-Cotterêts pour expliquer son "plan d'urgence pour la langue française et la francophonie". Il est bien dommage que cette question semble n'intéresser que Mme Le Pen et M. Mélenchon. Certes, au début de son quinquennat, M. Macron a donné des signes volontaristes pour la francophonie (bien que semblant découvrir le problème), mais son intervention critiquée pour la nomination de la rouandaise Mme Mushikiwabo à la présidence de l'Organisation Internationale de la Francophonie et son "how are you" à l'adresse de M. Poutine lorsque ce dernier l'a accueilli par un BONSOIR en français ternissent son bilan en la matière. Il faut rappeler à ce président et à ses rivaux que le président de la république est le garant de la langue française d'après la constitution. Ce qui ne doit pas l'empêcher, bien au contraire, de valoriser les langues régionales selon les modalités prévues par la loi. C'est toutefois le rôle de chacun qui prime, en espérant que l'exemple vienne d'en haut !
NB : Citoyen français, amoureux des langues, j'en ai appris une dizaine dont parfaitement l'anglais, que j'ai enseigné et que j'utilise avec bonheur; j'ai également enseigné le français à des étrangers; je prends part à ce mouvement contre le tout-anglais non pas en raison d'une nostalgie vaine ou d'un désir de purisme stupide, j'ai bien conscience que les langues sont en évolution continue et que les emprunts de termes sont constants de l'une à l'autre et vice versa, sauf que là il n'y a plus de versa ! Je suis donc pour défendre la diversité culturelle, la diversité des modes de pensée véhiculés par les langues et empêcher l'uniformisation imposée par un modèle quel qu'il soit. Tout cela, après avoir pris conscience de l'insécurité linguistiquedans laquelle sont plongées les populations qui ne possèdent pas les bons codes de la "bonne" langue. Il faut donc ne pas accorder de statut privilégié absolu à quelque langue que ce soit et favoriser les moyens de traduction, humains d'abord, (bravo aux interprètes et aux reporteurs) et techniques ensuite, à condition de parfaire les recherches dans ce sens, ce qui est loin d'être le cas actuellement puisque les GAFA sont américains, donc peu enclin à dépenser leur énergie pour les non-anglophones. C'est donc à nous de nous bouger !